Marine, mon mode de vie n’est pas une posture politique.


Chère lectrice,
 
L’équipe du Caféminin m’a proposé de te parler du choix d’être mère au foyer, alors je vais essayer. Même si je me suis aperçue que c’était compliqué, de définir ce que c’est. 
 
D’abord, je ne vais pas te parler d’un « choix de vie » : en fait de choix fait par moi, c’est plutôt la vie qui m’a fait comprendre qu’elle allait se dérouler comme ça. Enfant, je ne me suis pas imaginée « mère au foyer », ça s’est fait naturellement, petit à petit.
 
Je ne vais pas te vendre ce mode de vie comme le meilleur non plus, il y a mille façons de traverser la vie, d’élever ses enfants, d’être un couple et de faire famille.

Je ne vais pas te dire que je suis « cent professions », ce serait verser dans l’autojustification. Non, je n’ai pas besoin de prouver que je ne fais pas rien de mes journées… Je sais ce que j’accomplis chaque jour, et ça me suffit.

Je ne suis pas non plus dans la revendication. Je n’attends pas de subvention de la part de la société, ni cette fameuse « reconnaissance » qui peut tourner à l’obsession. Être au foyer n’est pas un métier, je le sais. 

Mon mode de vie n’est pas une posture politique non plus. Il ne regarde personne à part notre couple. 
 
Je ne vais en revanche pas te dire que je ne « travaille pas ». 

Certes je ne me rends pas dans un bureau chaque jour, et je ne reçois pas de salaire à la fin du mois. Mais le salut existe hors du statut de la vie d’entreprise… et puis j’ai grandi dans une famille où il n’y avait ni salariés ni fonctionnaires, mais des indépendants. Ça doit sûrement jouer dans ma façon de voir les choses.
Donc oui, je travaille, parce qu’avec quatre enfants et un mari qui a créé sa société, absent 12h par jour de la maison, je peux te dire que chacun fait largement sa part, et que la charge mentale dépasse, chaque jour, les 100%.
 
Je ne vais même pas te dire que, en tant que femme, parce que je ne « travaille pas », je me sens victime de la société, de mon mari ou du fameux patriarcat. C’est juste un deal entre mon mari et moi, et ça nous va.

Je ne me sens pas atteinte dans mon féminisme, ou ne vais pas te servir le discours en vogue d’une « vie publique », masculine, forcément plus valorisante que la vie domestique et du foyer, forcément féminine, forcément aliénante. Pour moi, pour nous, vie pro et vie perso sont aussi importantes et nobles l’une que l’autre. Remplir un tableau Excel et préparer le dîner, voir ses clients et laver nos chaussettes, partir en vacances et ouvrir son ordi : tout va ensemble, tout est nécessaire, tout est respectable, sans hiérarchie. L’aventure entrepreneuriale embarque toute la famille dans le même bateau, pour que celle-ci fonctionne il faut que tous les aspects de notre vie soient englobés. Il ne pourrait pas travailler ainsi si je ne faisais pas le job de mon côté. L’argent qu’il gagne, c’est mon argent. Nous sommes une équipe et ne voyons pas les choses autrement.
 
Tu peux me renvoyer (me réduire ?) à mon genre, et m’expliquer que si je suis au foyer c’est parce que c’est la société qui a tout fait pour que ce soit moi et pas mon mari qui le soit, et je peux te comprendre. Mais à titre personnel, je ne me sens pas la mission de représenter quoi que ce soit.

Je ne fais pas ma vie « au nom des femmes » ou « en tant que femme », mais avant tout en tant qu’humain.

Je ne suis pas sur terre longtemps, j’ai envie que ce passage soit le plus agréable possible, alors permets-moi d’essayer de faire des choix, pour moi. Pour moi, aujourd’hui, ma vie de femme, elle est comme ça. Et j’aime être une femme, et malgré les contraintes, je n’envie pas la vie, les difficultés et les responsabilités de mon homme.
 
Je ne vais pas te dire que c’est sans risques. Mais je crois que tout mode de vie, dès qu’on a un peu d’ambition, nécessite d’abandonner une vision 100% confort. Autour de moi, je constate surtout que c’est la vie qui est risquée, pour chacun de nous. Quels que soient nos « choix » pro/perso. 

Et puis les risques se mesurent, aussi. Cette vie nécessite énormément de communication dans le couple, et la mise en place de systèmes de protection mutuelle. Ça nous engage autant l’un que l’autre.
 
Je ne vais pas te dire que c’est « le plus beau métier du monde », parce que tout n’est pas beau dans la maternité, et que ce n’est pas un métier, que d’être parent. C’est difficile de trouver son équilibre, et puis quand les enfants sont petits, c’est fatigant et parfois désespérant.

Mais je ne vais pas non plus te dire que mon sort est difficile ; cette vie m’offre beaucoup d’indépendance et de liberté, la possibilité d’organiser mes journées, à 9h, d’aller me baigner dans la Méditerranée.
 
Je ne vais pas m’excuser d’être au foyer ; certes je me sens privilégiée, et puis je suis consciente de ma chance ; mais je n’ai rien volé non plus, ce sont des choix faits à deux, assumés, sans rien demander à la société : c’est aussi revoir ses priorités, décider de « moins gagner » d’un côté… pour plus gagner en qualité.
 
Je ne vais pas te dire que tu ne te retrouveras pas seule avec toi-même de longues heures pendant la journée : c’est effectivement le cas, et, année après année, je savoure de plus en plus intensément ces moments de solitude, rien que pour moi. Ils me permettent de me régénérer, de réfléchir et de me ressourcer… pour pouvoir, ensuite, mieux donner. Parce que toi-même tu sais : quatre enfants, des confinements, l’école à la maison et une année de Covid dans les dents nous auront bien challengés chaque jour. Je suis passée maîtresse en techniques pour me faire du bien et me préserver. Sans aucune culpabilité. Et une journée passée sans enfant malade, blessé, mauvaise nouvelle quelconque, changement de dernière minute ou truc administratif pénible à régler, crois-moi, plus on avance et plus on apprend à en profiter.
 
Je ne vais pas te dire que tu vas t’ennuyer une fois que tes enfants grandiront : plus mes enfants grandissent, plus je trouve ça intéressant, et important, d’être présente à leurs côtés. Plus ils grandissent et plus ils sont demandeurs. Plus leurs problématiques sont exigeantes, plus l’éducation se complexifie et se nuance. Plus leurs émotions prennent de la place. Mais plus ils grandissent et plus ils me laissent du temps, aussi : du temps pour moi, pour développer mes passions.
 
Je ne vais pas te dire que je me sens dévalorisée : chaque jour, je sais l’importance énorme de ce que j’accomplis. Je suis très fière de ce que je fais. Et mon mari me l’exprime aussi. 
 
Comme tu le vois, je ne sais pas trop comment te parler de ce que c’est, être mère au foyer.
Ce dont je suis sûre, c’est du sens que cette vie a pour moi. Rien ne me parait plus précieux et heureux que cet équilibre qu’on a trouvé (et qui est sans cesse à réajuster). Ma vie c’est juste celle-ci, et jusqu’à présent, je la trouve riche et réussie.
 
Ah, et puis, je ne vais pas te donner de conseils, non plus : qui suis-je pour faire ça ? Je suis encore sur le chemin, je suis loin d’avoir approché du but, autant que toi… Je tâtonne et j’apprends, au quotidien, sur moi.

Mais je vais faire une exception, te donner un petit conseil, tout de même : si tu veux atteindre ton équilibre, trouver ta liberté… Fais selon ce que te dicte la petite voix, à l’intérieur de toi. Fais ce qui te semble juste pour toi, dans ton présent à toi, en fonction de ton écosystème à toi.

La vie va vite passer… tu ne pourras pas tout maîtriser. La maladie, les attentats, tout un tas d’évènements se chargeront de te le rappeler. Ne décide pas en fonction d’idéologies, de courants de pensée, de modes, de croyances familiales, d’études sociologiques ou de commentaires de ta voisine. 

Quel que soit ton choix, il ne conviendra pas à certains. Mais en terme de vie de couple et de famille, crois-moi, faire en fonction de l’avis des autres, c’est l’assurance de se planter. Et puis, aussi, arrête de penser que la société a des attentes envers toi. Si ça se trouve, l’avis de la société sur tes choix, il est fictif ; juste le fruit de ton imagination et de tes angoisses. Il n’existe même pas. 
 
La vie, ça ne se théorise pas, ça se vit. Plus elle passe et plus on s’aperçoit qu’on n’est pas tout-puissant, et qu’on est loin de ne faire que des « choix ». En revanche on peut s’adapter aux situations qui s’imposent à nous au jour le jour, maîtriser sa trajectoire, tenir le cap et décider de la façon dont on a envie de regarder cette aventure. Rester proches dans les tempêtes. C’est ce qu’on a l’impression de faire depuis qu’on vit comme ça, et ça nous va.


Merci infiniment Marine @unechambreamoi !

Articles recommandés