Juste elle et le monde

Il y a quelques jours, je suis allée voir des gens courir. Ils passaient devant moi par centaines, haletant depuis 120 kilomètres déjà à travers les cirques réunionnais, et parmi eux tant de femmes !

Les traits tirés par la fatigue, contractés par la douleur, pleurant d’épuisement pour certaines, d’émotion pour d’autres en entendant les acclamations de leurs familles fièrement réunies sur le bord du chemin.

Après quoi courent-elles, me suis-je demandé ? Après la même chose que les hommes, pourriez-vous me répondre. Le défi, la fierté, la gloire peut-être. Soit.

Mais en tant que femme, j’avoue avoir été autrement touchée par ces mères, ces filles dont je devinais, derrière les tenues de traileuses aguerries, des corps comme le mien. Des corps marquées par les menstruations voire par les grossesses ou les allaitements. Des corps musclés mais aussi arrondis, des corps qui semblaient jetés dans la course par un élan irrésistible. Vital, même. Nécessaire, indispensable.

Il me semblait en les voyant qu’elles n’avaient pas le choix, ces femmes. Elles DEVAIENT courir, arriver au bout, qu’importe la douleur, qu’importe le classement. Chacune me semblait tellement, tellement courageuse.

Il y avait celle-ci qui s’accrochait au bras de son mari courant à côté d’elle et lui chuchotant les paroles qu’il fallait à l’oreille. Il y avait cette autre qui semblait si concentrée, et dont les larmes ont soudainement coulé en voyant ses enfants brandir leur panneau « allez, maman ! ».

Alors j’ai cru comprendre, peut-être. Beaucoup de ces femmes couraient, effectivement, pour VIVRE.

Pour faire exploser leur MOI au rythme du sang qui bat les tempes. Pour sentir vibrer de puissance les muscles brûlants de leurs cuisses. Pour être fortes, pour être seules, pour avoir l’impression pendant quelques heures au moins que rien, rien n’est plus important que cette course. Sans regards, sans injonctions, sans dossiers, sans homme, sans linge et sans jouets qui traînent.

Juste cette force des jambes qui martèlent le sol et cet affrontement avec la nature hiératique.

Juste elles et le monde, sans rien entre eux deux.

(Alors… J’ai ressorti mes baskets !)

Articles recommandés