Filez-leur le bébé !

« C’est le sentiment, presque l’intuition, de vivre à fond, pleinement, concentré sur soi-même, chaque instant qui se présente. Les hommes d’action se nourrissent de cette sensation qui leur procure ivresse et volupté. Sans doute les hommes de méditation éprouvent-ils la meme délectation à sentir dans toute son intensité passer le temps. »

En lisant ces mots de Jean-René van der Plaetsen dans « Trois jours et trois nuits » (éditions Fayard), je me disais que Jean-René – qu’il me pardonne – n’avait pas beaucoup dû s’occuper de ses enfants, petits.

Il aurait su, sinon, qu’entre les hommes d’action et les hommes de méditation existait une troisième catégorie : celle des mères de tout petits enfants.

Il aurait su, sinon, que des femmes vivaient à de nombreuses reprises et depuis la nuit des temps cette expérience vibrante de l’instant présent, du sourire qui se dessine quelques secondes, du sommeil qui s’installe enfin. Que ces femmes se passent de descentes en rappel pour sentir leur corps traversé par une vague puissante d’hormones, qu’elles n’ont nul besoin d’offices monastiques pour rythmer leurs jours et leurs nuits, qu’elles n’ont pas à chercher bien loin la transcendance quand leur corps tout entier est donné.

Loin de moi l’idée de vouloir idéaliser ces premières semaines de la vie d’une mère, épuisantes par tant d’aspects. Mais je m’amuse toujours de voir certains hommes chercher bien loin ce qui paraît être la plus banale des expériences, une des plus grandes pourtant.

L’émotion des quatorze auteurs de ce livre, au terme de leur court séjour à l’abbaye de Lagrasse, est bouleversante de sincérité. L’honnêteté de leur quête existentielle est une leçon de courage. Mais l’étonnement de ces quatorze écrivains, tous des hommes, face à l’humilité d’une vie aussi exigeante, décentrée et rythmée que celle des chanoines…me fait dire que, si j’étais leur femme, je leur filerais le bébé !

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