Etienne, psychologue et thérapeute de couple

Etienne de Richemont est psychologue et thérapeute de couple en région parisienne.

Il a répondu à nos questions pour #legrainàmoudre !



 
Pour toi, à quelles difficultés les couples font-ils face aujourd’hui ?
 
Vaste question ! 
 
Peut-être tout d’abord le mode de vie ! Dans nos vies dont le rythme est intense, beaucoup de choses pèsent sur les couples. Par exemple, les couples ne prennent plus le temps de s’ennuyer. Or, l’ennui est nécessaire pour permettre la réflexion introspective. Les couples ne partagent que peu de choses ensemble, les soirées étant souvent réduites par le temps passé devant les écrans. Par ailleurs, je dis souvent que trop de liberté tue la liberté, car cela nous impose de choisir et de discerner, et donc se mobiliser psychiquement.

Or les couples sont écrasés sous le poids des choix permanents : le choix de notre métier, de la ville où on veut habiter, de l’orientation sexuelle, de l’éducation à donner aux enfants, de notre alimentation.

Ils sont parfois dépassés par leurs vies et ont du mal à ne pas en être spectateurs. Combien de fois ai-je entendu des couples me dire : « nous  ne vivons plus que comme des colocataires, la routine pesante ne nous permet plus d’être acteur dans notre amour » !
 
Par conséquent, les couples n’ont plus le temps de prendre soin d’eux ! Aujourd’hui, on ne s’occupe pas spécialement de son couple. On dit beaucoup qu’il faut prendre soin de soi, de son corps mais pas spécialement du couple ! Quand je demande aux couples quand est ce qu’ils ont eu une discussion en cœur à cœur pour la dernière fois (en couple pour parler du couple), j’ai globalement trois types de réponses : ceux qui sont au bord de la rupture qui ont tendance à généraliser le négatif et disent qu’ils n’ont jamais eu d’échanges, d’autres avouent que cela fait très longtemps et, enfin, la plupart me disent que la dernière fois était après une dispute.

Donc le couple attend souvent la limite, le conflit pour partager et exprimer ce que chacun ressent. On ne prend pas le temps de se poser et d’échanger.

Je conseille souvent aux couples de se retrouver une minute par soir, une heure par semaine, une soirée par mois, un week-end par trimestre, une semaine par an en couple. Quasiment personne ne fait cela. Il est, à mon avis, essentiel d’anticiper et de faire la rétrospective régulièrement pour vivre le présent pleinement et sereinement.
 
Une autre difficulté importante, et qui est la conséquence de ce que j’appelle la « génération rond-point », c’est la difficulté de chacun à s’engager. Comme dans un rond-point, on ne veut pas choisir un sens, on tourne plusieurs fois avant de s’engager dans une voie. Peut-être parce qu’on nous a répété que plus tard le choix serait fait, meilleur il serait (cf : choix des études). Ce qui n’est pas vrai !

Je remets cela en question car je suis sûr que cette exigence de l’engagement est aussi le « prix à payer » pour s’épanouir dans la vie ! Je pense que ce qui nous demande de nous donner nous apporte aussi beaucoup en retour !

C’est vrai que le couple c’est exigeant, c’est parfois même liberticide d’un certain point de vue, comme on le dit souvent au sujet des enfants. Si je suis en couple, je renonce à mon célibat et je m’inscris dans une forme d’exclusivité (pas forcément totale puisque chacun garde son « jardin secret »). L’amour est suffisamment exigeant pour ne pas se passer de cette exclusivité. Mais c’est un choix à poser et, comme dans tous les choix, il y a des pour et des contre, sinon cela serait une évidence. 
 
Enfin, je pense que le grand oublié du couple c’est le commencement du couple. Le problème est que, quand les couples viennent nous voir, tous les voyants sont déjà au rouge. Il n’y a pas de manuel de démarrage ou d’entretien. Il n’y a pas de notice d’utilisation et il n’y en aura jamais ! Mais je crois profondément que nous pourrions aider nos jeunes adultes à partir avec plus de matière. Beaucoup d’échanges fondateurs se jouent vraiment au début ! 
 
Enfin, je remarque une tendance aujourd’hui à monter les éléments les uns contre les autres : l’homme contre la nature, les hommes contre les femmes etc. Cela créé un climat de peur qui délite le lien entre chacun, y compris au sein du couple. Notre génération est habitée par la peur : peur du réchauffement climatique, peur de la maltraitance animale, peur de la crise économique et sociale, peur de la délinquance sexuelle, peur de l’avenir … et donc peur de l’engagement dans le couple. 
 
 

Penses-tu que la société actuelle est favorable au couple ? 
 
Bien sûr, d’un certain coté. La société actuelle nous gâte par un élargissement de nos libertés et la possibilité de se former très facilement. Tout cela nous rend vraiment libres. D’ailleurs, j’encourage les couples à se remettre en question, à faire une formation sur la communication non violente, à s’isoler en coupant le portable avec un bouquin inspirant. De nombreux sujets sont également plus facilement abordés.

Mais, attention, ce n’est pas parce que certains sujets sont beaucoup plus évoqués (comme la sexualité) que les couples en parlent davantage. C’est un peu paradoxal. En effet, cette pluralité des modèles et ce libéralisme parfois poussé à l’extrême nous font perdre certains repères et modèles rassurants. 
 
L’émergence de la pornographie génère aussi des troubles de la sexualité, du désir, troubles de l’attachement, troubles de l’investissement dans le couple. C’est un vrai sujet que nous devons prendre très au sérieux car les conséquences sont souvent dramatiques sur le couple et sa sexualité.
 
Enfin, ce qui est compliqué selon moi c’est, qu’aujourd’hui, notre société ne fait rien pour la famille, pour l’aider à grandir. Alors qu’elle est essentielle pour le développement et l’épanouissement de l’homme. 
 
 
 
Alors, être en couple en 2021, c’est encore possible ? 
 

Mais oui bien sûr ! Malgré toutes ces difficultés, l’homme a besoin d’être en lien et d’être en complémentarité. Le couple symbolise vraiment cela ! Il fait partie des unités de base de notre société. 
 
Aujourd’hui, nous pouvons davantage nous isoler et vivre des moments agréables en couple. La qualité de vie globale fait que nous pourrions prendre soin de notre couple et de notre développement personnel mais nous ne le faisons pas toujours. Il faut le faire ! 
 
Il y a aussi des vertus à travailler ! En premier lieu, la vertu d’humilité : se dire qu’on a toujours des choses à améliorer. On met toute la vie à apprendre à aimer, aimer n’est jamais spontané. C’est quelque chose qui interpelle mes patients quand je leur dis cela.

Aimer demande du travail et nous demande de nous remettre en question perpétuellement.

Nous devons nous poser la question : qu’est-ce que je dois retirer dans ma vie ? En effet, pour qu’un arbre porte du fruit, ou à minima qu’il donne de belles fleurs, il faut tailler les branches non nécessaires qui prennent inutilement de l’énergie. Il faut travailler et modeler la terre, améliorer et remettre en question.


Aujourd’hui, nous sommes dans une vision consumériste de l’amour, mais l’amour ce n’est pas quelque chose qui se consomme c’est quelque chose qui se vit !

C’est un choix qu’on refait tous les jours, choisir d’être fidèle, d’aller dire pardon, merci, je t’aime. Le couple se construit dans le quotidien, dans les petites choses.


– Un immense merci, Etienne.


Propos recueillis et retranscrits par Lénaïg Steffens

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