Entretien avec Claire, sage-femme



Claire a 27 ans. Elle est sage-femme depuis plus de 2 ans en maternité privée. Elle a accepté de répondre à nos questions et d’exposer sa perception du lien entre corps féminin et personnel médical.

Merci infiniment Claire pour ton témoignage si riche.



« Nous les sages-femmes sommes chargées de faire le suivi gynécologique et obstétrical des femmes de la puberté à la ménopause, de prévenir les maladies et de les reconduire vers les gynécologues en cas de pathologie. En clair, on vérifie que tout va bien, on détecte s’il y a un souci, et si c’est le cas, on les oriente vers les médecins. On aime assez dire que les sages-femmes se chargent de la physiologie tandis que les gynécologues obstétriciens ont à cœur de soigner la pathologie. Notre cœur de métier est donc le dépistage et le diagnostic de maladies gynécologiques, le suivi de la grossesse, du travail, de l’accouchement et du post-partum, la rééducation périnéale et le suivi de la contraception. Selon l’activité (libérale ou hospitalière), les sages-femmes se redirigent plutôt vers un secteur qu’un autre.

En libéral, il s’agit de suivre les patientes en consultation au cabinet ou à domicile : consultations prénatales, gynécologiques, rééducation du périnée, ou consultations spécialisées pour les sages-femmes ayant un Diplôme Universitaire (hypnose, acupuncture, échographie etc). Le suivi à domicile concerne le suivi des patientes enceintes à risque (grossesses nécessitant un suivi rapproché : retard de croissance, menace d’accouchement prématuré, grossesse gémellaire etc.) ou bien dans le cadre du PRADO. Le PRADO est un suivi mis en place par la sécurité sociale pour que toute femme ayant accouché puisse avoir la visite d’une sage-femme 1 à 2 fois dans les 12j qui suivent la naissance à la maison, vérifier la mise en place de l’alimentation du nouveau-né, le lien père-mère-enfant, le vécu de l’accouchement, la cicatrisation en cas de césarienne ou de déchirure.

En hospitalier, l’activité est concentrée sur les urgences gynéco-obstétricales, le suivi du travail, de l’accouchement, les quelques jours d’hospitalisation en maternité, le suivi des patientes hospitalisées pour grossesses à risque (rupture prématurée de la poche des eaux, menace d’accouchement prématurée, maladies obstétricales comme la cholestase gravidique, la prééclampsie, etc.).


👩🏻‍⚕️ Ton métier touche par essence à la plus grande intimité de la femme, qu’elle soit physique (zone du corps, sensibilité au plaisir comme à la douleur) ou psychique (lieu de la relation sexuelle, de la fertilité, de la naissance…). As-tu le sentiment que cela est pris en compte dans la formation que vous recevez ? Comment prends-tu personnellement en compte cette intimité ? Penses-tu que cette pratique diverge selon que la sage-femme soit un homme ou une femme, et si oui comment ?


Nous sommes en effet formés à appréhender la relation soignant-soigné dans sa globalité. Déjà en cours de Première Année Commune aux Etudes de Santé (PACES), nous avions des cours de Sciences Humaines et Sociales, pendant lesquelles on nous expliquait l’importance d’une « information loyale claire et appropriée », de l’obtention d’un « consentement libre et éclairé », et de la difficulté de la relation de confiance entre soignant et soigné / patient. On nous l’a suffisamment « rabâché » pendant nos études pour que les groupes de mots reviennent sans difficulté. C’est la base du soin. Le patient / la patiente arrive avec ses inquiétudes et ses questions, et nous confie sa personne, son corps, son intégrité. Notre devoir est d’être reconnaissant de cette confiance qu’il / elle place en nous pour pouvoir répondre à ses questions.

Un exemple simple : une patiente enceinte arrive à terme de sa grossesse (i.e. hors période de prématurité : entre 37 et 41 semaines d’aménorrhée) avec des contractions douloureuses. Certes, avec un peu d’expérience et de clinique, il nous est parfois possible de deviner entre les lignes si le travail de l’accouchement est lancé. Mais le diagnostic du travail repose sur deux éléments :

– des contractions utérines régulières et douloureuses,
– le col de l’utérus qui se modifie, c’est-à-dire s’efface et se dilate.

Donc on ne peut poser le diagnostic qu’avec un examen gynécologique. C’est bien la preuve qu’au cœur même du métier, nous ne pouvons difficilement poser un diagnostic et donc une prise en charge conséquente sans intrusion dans l’intimité de la femme.

De nombreux cours de psychologie nous apprennent également à soigner dans la globalité et à prendre en compte tous les éléments pour éviter les bourdes.

On apprend par exemple que, lors de la grossesse, un phénomène appelé la transparence psychique fait que les femmes sont « ultra-sensibles » puisqu’elles sont confrontées à tous les conflits qu’elles ont mis des années à faire taire au fin fond de leur inconscient, et qui refont surface pour les aider à se préparer à cette nouvelle maternité.

En cette période, chaque mot peut être extrêmement blessant. Un mot dit de manière brutale, une blague prononcée à la légère, un rien peut porter atteinte à cette relation de confiance qui a pu mettre du temps à se construire. C’est très délicat. C’est un point majeur du métier et je pense avoir été bien formée à cela.

Par ailleurs, si la formation se fait au niveau théorique elle se fait surtout au niveau pratique. Au cours des stages, on peut rencontrer des sages-femmes qui nous apprennent des petits « tips » pour préserver la patiente. Un petit quelque chose qui peut paraître bête : en libéral, une sage-femme disait à chaque patiente d’apporter sa serviette, elle sortait souvent pendant que la patiente s’installait et revenait une fois qu’elle était sur le lit, avec sa serviette en bas. A l’hôpital, une sage-femme que je suivais en stage m’a appris à toujours avoir des petits draps en salle de consultation pour toujours pouvoir couvrir la patiente avant l’examen. Une autre m’a incitée à toujours terminer ma consultation par l’examen gynécologique, après avoir fait un interrogatoire et discuté avec la patiente, ce qui lui laisse le temps de voir à quel point on est une personne géniale et comme elle peut avoir confiance en nous !
Sans rire, l’interrogatoire peut parfois durer une dizaine de minutes, c’est tout de même moins brutal que « bonjour madame, déshabillez-vous s’il-vous-plaît ». Que ce soit en cours ou à l’hôpital, on nous a enseigné à toujours demander : « vous me direz quand je pourrai vous examiner ». Et pas « je peux vous examiner ? » ou « c’est bon pour vous ? » qui sont des questions fermées !

Toujours poser des questions ouvertes, qui laissent l’occasion aux femmes de dire : « oui, non, pas tout de suite, attendez, je ne peux pas, impossible… »

Alors, on attend, on enlève les gants, on se pose, on souffle, on rediscute, et parfois on profite de la faille et on découvre des choses sur son passé. On revient sur la transparence psychique : c’est dans ces moments-là qu’on entend les choses les plus dures. L’OMS a dit qu’une femme sur trois avait été victime de violences dans sa vie (physique, psychologique…). Une patiente sur trois ? Ça fait beaucoup plus que je n’en ai vue. J’ai dû en laisser passer un paquet…

Je suis toujours choquée du nombre de fois où j’entends des femmes me dire « bon de toute façon, vu le nombre de gens qui m’ont vue ou qui sont passés par là… » ou « bah, c’est comme ça avec la grossesse, on s’habitue… »

Quel message ces femmes ont-elles reçu pour qu’elles se sentent persuadées que, parce qu’elles sont enceintes, leur pudeur doit en prendre un coup ?

Je ne dis pas que ça concerne tout le monde, certaines sont très à l’aise avec leur corps et sont déjà nues devant nous avant même qu’on ait fini de dire bonjour ! Je pense que dans ces moments-là, c’est presque moi qui suis la plus mal à l’aise. Mais poker face : c’est de la projection. Si je suis mal à l’aise, c’est parce que je ne me sentirais pas à l’aise à sa place, ce sentiment n’a pas sa place ici, merci les cours de psychologie !

Les manières de travailler évoluent. De plus en plus de soignants limitent les examens gynécologiques, qui ne sont pas nécessaires pendant la grossesse sans signe d’appel (un frottis cervico-utérin de dépistage en début de grossesse, des contractions régulières trop tôt, une suspicion de fissuration de la poche des eaux, etc.). On favorise l’échographie par voie abdominale plutôt qu’endovaginale, et il arrive qu’une femme arrive au terme de sa grossesse sans jamais avoir été examinée. Ça ne devrait malheureusement pas être choquant mais il faut du temps pour faire changer les pratiques. Tout ceci ne concerne « que » l’examen gynécologique. Je ne parle même pas du moment où elle accouche, surtout en cas d’urgence si gynécologue, anesthésiste, sage-femme, auxiliaire de puériculture sont tous là, avec la femme en position gynécologique, plein phare sur la zone intime, sans compter les étudiants…

Oui, le rapport à l’intime chez la femme m’a toujours paru important au cours des études. Tout le monde n’y fait pas gaffe, et je me souviens d’une sage-femme, au cours d’un stage, qui me reprochait mon drap pour la couvrir, mon « vous me dites quand vous êtes ok pour que je vous examine », sous prétexte que c’était une perte de temps : « de toute façon, tu dois l’examiner alors bon ». Je n’ai jamais cessé de poser la question, même à une femme dont je suis le travail depuis 10 heures, que j’ai déjà examinée dix fois, qui est sous péridurale et ne ressent même pas mon examen. Je n’ai jamais cessé de couvrir mes patientes, de faire mon maximum pour qu’elles se sentent le moins « mises à nu ».

Quant à savoir si la pratique diverge entre homme ou femme : elle change déjà entre chaque sage-femme. On voit des hommes très doux, des femmes très brutales et leurs contraires. Le plus important, c’est la relation de confiance !

Si on arrive à en créer une, alors c’est parfait. Si ça ne va pas, il faut passer la main. En tant que soignant, il faut avoir l’humilité de comprendre que s’acharner ne permettra pas de mieux soigner. En tant que patient, il faut avoir le courage de changer, et de redonner sa confiance à quelqu’un d’autre.


👩🏻‍⚕️ Comment appréhendes-tu ton intervention en tant que sage-femme dans des moments de la vie d’une femme qui sont à l’origine totalement naturels (au sens de non-pathologiques), comme la naissance ? Comment te positionnes-tu dans l’exercice quotidien de ton métier auprès des femmes que tu accompagnes dans ces moments si forts ?

Certes, la grossesse et l’accouchement sont des événements naturels. Mais de tout temps, des matrones, doulas, ont accompagné les femmes dans le travail et l’accouchement.

Naturel certes, mais ça ne signifie pas qu’on ne doit pas être aidé. L’environnement surmédicalisé est arrivé à la suite d’une volonté de diminuer la mortalité maternelle et néonatale. Il est difficile de trouver le juste milieu. Un hôpital de niveau I apporte un suivi souvent moins stressant, moins de bip bip, moins d’étudiants… Mais ces hôpitaux sont réservés aux femmes ayant une grossesse physiologique. Sclérose en plaques ? Hépatite ? VIH ? Lupus ? Cholestase gravidique ? Accouchement prématuré ? L’établissement est moins adapté car le niveau de l’hôpital se réfère à la capacité d’accueil pédiatrique : néonatalogie, soins intensifs, réanimation pédiatrique.

Alors oui, malheureusement, on surmédicalise souvent, mais on a toujours de mauvaises surprises. Je comprends le choix des femmes de se tourner vers les accouchements à domicile, et je comprends le choix des sages-femmes qui accompagnent les femmes dans ce choix.

Pour ma part, je suis rassurée par les appareils, même s’ils ne nous servent qu’une fois de temps en temps, je suis rassurée par la présence du bloc opératoire juste à côté, même si on y va rarement en urgence vitale.

Cette question est assez compliquée, encore une fois je pense que tout est à adapter en fonction de la situation. Il est aussi malheureux de voir que certaines personnes accouchent à domicile, tellement elles ont été marquées négativement par leur précédent accouchement à l’hôpital. Si on avait eu plus de temps, plus de moyen, un soignant plus adapté… Avec des « si », on mettrait Paris en bouteille !


👩🏻‍⚕️ Quels sont selon toi les enjeux majeurs dans le domaine de la naissance aujourd’hui ? 

Certains restent les mêmes : prévenir le risque infectieux, le risque hémorragique, le risque de douleur, le risque thrombo-embolique, en gros tout ce qui concerne les pathologies spécifiques à chaque patiente.

En réalité, les sages-femmes ont surtout un rôle majeur dans l’accompagnement à la parentalité. Ce qui est compliqué, c’est que les enfants sont de plus en plus désirés. On le voit grâce à l’augmentation du recours à l’AMP, à l’accès facilité à la contraception et à l’IVG.

De nos jours, un enfant qui naît est un enfant désiré, parfois très attendu et depuis longtemps. L’émergence des projets de naissance nous met face à un vrai souci : le deuil de la grossesse idéale et de l’accouchement idéal.

On nous a souvent parlé en cours du deuil de l’enfant idéal (il est normal de se projeter sur l’enfant à venir, comment il sera, comment il se comportera, et la réalité est toujours différente des attentes rêvées.). Dans le contexte actuel de la chasse aux violences obstétricales (que nous soutenons, bien sûr ! Chaque témoignage entendu de patiente ayant subi des violences me met en rage), du nombre d’enfants par femme qui diminue depuis dix ans, des projets de naissance de plus en plus fréquents et de plus en plus détaillés…

Avec une collègue on avait tendance à stresser à chaque projet de naissance, disant qu’ils portaient malheur. Pendant un moment, quasi toutes les femmes que nous suivions avec un projet de naissance « typique » (j’entends par là les souhaits fréquents : pas de déclenchement, ambiance calme, musique douce, lumière tamisée, éviter les médicaments, éviter la césarienne, éviter les gestes médicaux tels qu’épisiotomie, extraction instrumentale etc.) finissaient avec une césarienne pour échec de déclenchement. Elles se retrouvaient avec : déclenchement, médicaments, douleur, fatigue, terminaient par accoucher par césarienne. C’était terrible, on s’en voulait à mort, un deuil énorme pour les patientes qui étaient confrontées à tout ce qu’elles avaient craint, un échec ressenti pour nous qui n’avons pas pu accomplir ce qu’elles voulaient. On ressent une pression assez énorme et ce n’est pas évident.

Les projets de naissance se déploient de plus en plus et sont de plus en plus variés. Cela ne me gêne plus, je comprends qu’on veuille se projeter.

Je commence à mieux savoir comment accompagner les couples. Finalement, ces projets nous permettent aussi un peu d’apprendre à les connaître, à connaître leurs choix, leurs désirs et leurs peurs, et c’est toujours l’occasion de discuter. La question des projets de naissance reste un grand débat malgré tout.


👩🏻‍⚕️ Quelles sont les améliorations qui pourraient être faites dans la prise en compte de la spécificité du corps féminin, de sa psychologie, de son intimité ?

J’ai l’impression qu’il y en a plein, mais qu’il y en déjà beaucoup en cours : l’amélioration des recommandations, du suivi physiologique du travail, l’importance de l’information, et de la compréhension des informations données…

Je dirais pour résumer que les soucis principaux nous arrivent quand nous sommes débordées. Si nous pouvions arriver au système d’une femme pour une sage-femme, alors là, je pense qu’on aurait moins de soucis… »



Propos recueillis par Victoire Eyraud.

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