Emma, professeur de lettres en REP

Emma a 25 ans. Enfant, elle a grandi entre l’Afrique et l’Asie. Elle vit aujourd’hui dans son studio perché sous les toits de Paris et nous raconte comment ses passions l’ont conduite d’une école de cuisine à un collège de banlieue parisienne.




Emma, parle-nous tout d’abord de tes passions !


Ce qui me fait vibrer au quotidien : la rencontre avec l’autre, sans hésitation ! Créer des contextes de vie qui soient des moments d’échange, de discussion… La cuisine, par exemple, est pour moi un médium privilégié de partage. J’aime viscéralement être en contact, transmettre. 

Ensuite viennent évidemment la lecture et l’écriture, l’univers des mots en général. Car c’est finalement ce qui nous permet d’être en contact avec l’autre… La lecture est pour moi un mode d’évasion et d’apprentissage. Évasion car je découvre des univers, fictifs ou réels, et je rencontre des personnages, tout cela depuis mon canapé… Les mots ont le magnifique pouvoir de créer, par l’imaginaire, un monde qui nous est propre. Apprentissage car, que ce soit en rencontrant un personnage de roman, en lisant un livre sur le jardinage ou en écoutant une poésie, j’apprends sur la nature humaine, le fonctionnement du monde et sa beauté. Depuis que je suis toute petite, j’ai le nez dans les livres…

Dans mes deux passions, le mode d’échange est toujours donnant-donnant. Je donne de moi, de mon temps et de mon énergie, et je reçois en retour. J’avais donc besoin d’un métier qui me nourrisse sur ce plan là.



Parle-nous donc de ton métier, et du chemin parcouru jusqu’à lui.


J’avais en moi depuis longtemps le désir de faire une école de cuisine, mais mes parents souhaitaient que je débute mes études par une formation plus générale. J’ai donc fait une hypokhâgne et une khâgne : deux années à la fois difficiles et tellement nourrissantes sur le plan intellectuel. Mais à ma sortie de prépa, j’ai intégré l’école de gastronomie Ferrandi, à Paris. J’y ai appris à accueillir les autres, en travaillant dans des hôtels, des restaurants… J’ai adoré ce rôle de facilitatrice de rencontres. Mais le rythme de travail est très décalé dans ce milieu, et c’est vrai qu’il me manquait un aspect intellectuel pour m’épanouir totalement… Quand on accueille chez soi, on est moteur de la discussion, de l’échange. Lorsqu’on fait de l’accueil son métier, on verse nécessairement davantage dans des prestations techniques. Je rêve de créer un jour un lieu d’accueil pour le corps et l’esprit, mais chaque chose en son temps…


Après deux ans dans un fonds d’investissement hôtelier familial, j’ai pris la décision de me réorienter complètement pour exercer un métier davantage en accord avec mes passions. J’ai alors intégré Le Choix de l’Ecole, une association qui accompagne des jeunes diplômés ou professionnels qui souhaitent devenir pour deux ans (ou plus) professeurs en région parisienne, dans les établissements REP (Réseau d’éducation prioritaire, anciennes ZEP). Je suis donc aujourd’hui professeur de lettres modernes dans un collège à Trappes. J’ai quatre classes de 20-25 élèves : deux de sixième et deux de quatrième, et je suis professeur principale de quatrième.



Comment tes passions trouvent-elles leur place dans ton métier ?


Créer un lieu d’accueil, tout d’abord : chaque début d’année est réellement pour moi synonyme de rencontres. Cette année, je suis par exemple 120 élèves. Il est capital de créer un lien avec chacun, d’abord pour essayer de créer une ambiance de classe propice au travail mais aussi pour accompagner et élever chacun. Rencontrer des élèves, les comprendre pour mieux transmettre, c’est pour moi tout l’enjeu de ce métier. Un enfant a besoin d’être en confiance pour être dans un contexte d’enseignement favorable. Mon premier objectif est donc de faire de ma classe un lieu d’accueil, dans lequel les enfants se sentent en sécurité pour travailler, répondre à des questions… Cela passe par des regards, des paroles…


Lire ensuite, évidemment, pour transmettre cet amour des mots et des histoires à mes élèves. Je leur lis par exemple de plus en plus de textes à voix haute. Je le faisais assez peu au début, mais je me suis rendue compte qu’ils adoraient ces moments. Tous les enfants aiment les histoires… Et savoir que je dois transmettre ce que je lis me fait lire encore plus en profondeur, me demande de saisir suffisamment chaque texte pour pouvoir ensuite le mettre à la portée de mes élèves. Mes élèves manquent de mots : je veux leur en faire découvrir pour qu’ils puissent comprendre davantage le sens des textes, mais aussi du monde qui nous entoure.



Qu’est-ce pour toi que la féminité, s’il y a une définition à donner ?

Je dirais que c’est avant tout la réalité d’un corps, de ses formes et de son rythme, bien particulier (menstruations, période d’ovulation..) avec de vrais impacts sur nos humeurs. Je pense foncièrement que cela n’est pas anodin, que cela nous impacte au quotidien, et qu’il est important que nous l’acceptions et le valorisions. 

La possibilité d’être mère, ensuite. Même si je n’en suis pas encore à cette période de ma vie, il me semble que le corps de la femme est particulièrement tourné vers l’enfance, la transmission, le don. Je pense que la femme est spécialement faite pour transmettre à l’enfant. La question est : jusqu’à quel âge ? je pense que l’homme a vraiment une place cruciale dans la transmission, mais peut-être plus tard… Pour finir, je dirais une sensibilité au monde. Une capacité d’avoir une vision globale sur les situations, plus tempérante, plus à l’écoute de chacun…



La féminité a-t-elle selon toi une place dans ton métier ?


Oui, la féminité a sans aucun doute une grande place dans mon métier. C’est un très beau métier pour révéler sa féminité, et surtout la force de sa féminité, en faisant appel à toutes ces qualités pour relever le défi énorme d’aider des jeunes à grandir et à être bien dans leurs corps ! Près de 70% des enseignants sont des femmes. Ce chiffre veut dire beaucoup selon moi !

Toutefois, je regrette parfois qu’il n’y ait pas davantage d’hommes parmi mes collègues. Je pense que les enfants ont besoin de la douceur de la bienveillance et de l’écoute féminine, mais aussi de la fermeté, de la voix forte, de la présence fixe d’un homme. Je dirais que mon collège manque de présence masculine. Je ressens par exemple une différence entre mes classes de sixième et de quatrième : les premiers sont encore des enfants en demande d’attention et de douceur ; les seconds demandent à ce qu’on leur rentre dedans, qu’on arrête de les écouter et qu’on les confronte à la réalité. J’ai l’impression que mes collègues masculins vont avoir plus de facilité à endosser ce rôle, que cela leur sera plus naturel de devoir renoncer un peu à cette attitude empathique. “Non tu ne seras pas toujours écouté, non tes susceptibilités ne seront pas toujours au centre du monde, oui tu vas devoir t’adapter” : je pense que ce discours est nécessaire à partir d’un certain âge, et qu’il fait trop souvent défaut pour mes élèves…

Mais pour revenir à ma féminité dans mon métier, je réalise en te parlant que je la bride peut être… Je suis beaucoup moins féminine au collège qu’au-dehors. Pourquoi ? C’est une bonne question… Car dans mon collège, il existe un uniforme officieux (le fameux jogging-baskets), pour les garçons comme pour les filles. Donc je me mets au diapason… Avec un jean et des baskets de ville, je suis déjà chic ! (Rires) Et les rares fois où je m’aventure à porter une jupe, j’ai régulièrement des réflexions de mes élèves : “Madame, vous avez un rencard ce soir ?” (Rires). Le regard sur les formes féminines est très particulier dans mon établissement. On peut vraiment parler de dissimulation du corps féminin. Les corps sont cachés, les différences gommées.


Pourquoi ? Je serai curieuse de le savoir, et ne suis pas à la bonne place pour répondre moi-même à cette question… Il faudrait le demander à mes élèves. Mais je pense que c’est probablement lié au contexte du REP : je dirais que la majorité de mes élèves sont de confession ou au moins de culture musulmane, le rapport au corps est donc nécessairement différent


Mais pour conclure, quand je suis arrivée au début avec toute ma féminité, je me suis sentie non respectée : j’ai senti que j’allais devoir me masculiniser. Je me suis alors forcée à crier, à m’imposer, pour être autoritaire. Je suis en train de trouver aujourd’hui un équilibre, et d’essayer de construire une autorité féminine confiante…



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1 commentaire

  1. Témoignage poignant !! Très intéressant, comment associer ses passions, son métier et sa féminité… Merci Emma !

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